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07.10.2017
Charles Fréger
Charles Fréger poursuit, depuis le début des années 2000, un inventaire intitulé « Portraits photographiques et uniformes ».
#11
Charles Fréger
L’épopée de Jeanne d’Arc
Charles Fréger poursuit, depuis le début des années 2000, un inventaire intitulé « Portraits photographiques et uniformes ».
En Europe et un peu partout dans le monde, avec ses séries consacrées à des groupes de sportifs, de militaires ou d’étudiants, il s’intéresse aux tenues et aux uniformes. Faire corps et esprit de corps sont les ressorts de ces présences individuelles où la tenue, entendue à la fois comme pose et vêtement, matérialisent le « physique de l’emploi » ou « l’habit du moine ».
La qualité des cadrages, le choix des poses, le détail des mains ou des traits des visages, ainsi que l’importance accordée à la mise en situation restituent l’acuité de la présence, l’adéquation entre la personne et un univers repéré pour ses codes et son inscription dans une société. L’exotisme y a sa part que ce soit à l’intérieur avec différents corps d’armées ou groupes sportifs, ou bien à l’extérieur à l’opéra de Pékin ou auprès de tribus africaines. Ceci renforce le jeu des différences et de l’altérité qui est un des principes des « portraits photographiques et uniformes ».
Les profils médiévaux ou la présence frontale des figures de la Renaissance dont les attributs indiquent le rang et la qualité sont autant de sources du travail de Charles Fréger. Portraits peints d’hier et photographies d’aujourd’hui semblent se répondre dans ces images posées et emblématiques où se distinguent les signes d’appartenance, d’adhésion ou d’existence.
Réuni autour des collectionneurs Evelyne et Jacques Deret à l’occasion de la FIAC, le comité de sélection Art [ ] Collector a élu le photographe Charles Fréger lauréat 2017. Il a bénéficier de deux expositions personnelles en 2017 : au Patio Art Opéra, puis à la Patinoire Royale/Galerie Valérie Bach à Bruxelles. Les deux expositions sont accompagnées de la publication d’un catalogue.
Le comité de sélection Art [ ] Collector 2016 était composé de Evelyne et Jacques Deret, collectionneurs et initiateurs du projet Art [ ] Collector, Isabelle de Maison Rouge, critique d’art (AICA) commissaire d’exposition indépendante, Philippe Piguet, commissaire d’exposition et critique, Françoise et Jean-Claude Quemin, collectionneurs, et Daniel Schildge, collectionneur.
Charles Fréger est d’abord connu pour ses séries de portraits photographiques de personnes en uniformes (gardes nationaux, légionnaires, sumos, patineuses, majorettes…), qui jouent sur le rapport entre les signes d’appartenance à un groupe et l’individualité de la personne qui revêt l’habit. Cette vocation documentaire lui est venue à Rouen alors qu’il était encore étudiant aux Beaux-Arts et s’était essayé au portrait de marins en escale : « En une journée, tout a basculé. J’ai vu que c’était mon monde. Je travaillais déjà sur la sérialité. Dans l’uniforme, il y avait quelque chose de conceptuel, de froid, que j’aimais ».
Sa série Wilder Mann (2012) relève presque de l’anthropologie puisqu’elle recense les créatures de mascarades rurales de 20 pays d’Europe. Elle a donné lieu à une publication plusieurs fois rééditée dans plusieurs pays.
Charles Fréger est par ailleurs fondateur d’un réseau international d’artistes, Piece of Cake (POC).
Une lanterne johannique
Charles Fréger et l’Histoire
L’écueil est double, qu’il n’est pas inutile de rappeler ici. D’abord, la mémoire de Jeanne d’Arc s’est constituée autour de conflits idéologiques dont les échos résonnent encore aujourd’hui : la vierge armée, la sainte catholique et l’envoyée divine le disputent à « la bonne Lorraine », la combattante patriote ou la patronne des humbles, dont l’héritage contradictoire est revendiqué de l’extrême droite nationaliste à la gauche républicaine, comme le montrera l’affaire Thalamas en 1904. « La mémoire de Jeanne d’Arc suit dans le temps une ligne brisée », écrivait naguère Michel Winock dans un essai qui considérait la Pucelle comme un « lieu de mémoire » de la nation.
Ensuite, depuis l’aube des temps modernes, et non sans une intensification au XIXe siècle, les images johanniques ont fécondé la littérature et le théâtre, la peinture, la sculpture monumentale, l’imagerie scolaire, le folklore des pèlerinages ou des célébrations commémoratives et jusqu’à l’expressionnisme du cinéma de Carl Dreyer ou Robert Bresson. Avec d’autant plus d’efficacité que quelques épisodes de la vie météoritique de Jeanne d’Arc ont cristallisé une incroyable épopée et décliné des figures légendaires, solidement plantées dans une topographie locale – Domrémy, Vaucouleurs, Chinon, Orléans, Reims…– dont Rouen clôt l’évocation : la pauvre bergère solitaire appelée par des voix, la combattante héroïque et chevaleresque,la Jeanne emprisonnée et jugée,la martyre condamnée au bûcher…
Bertrand Tillier
Professeur d’histoire contemporaine
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne / IDHES (CNRS Umr 8533)
Extrait du catalogue de l’exposition